Tu marches seul, tranquillement entre ce feuillage abondant. Tu entends des pas, qui se pressent, un rire. C'est Tao. Il doit avoir six ans, un vrai emmerdeur, mais qu'est-ce qu'il est intelligent, mature. Tu te retournes d'un seul coup, l'attrapant dans tes bras en lui faisant un peu peur. Son rire s’accélère, augmente. Tu rigoles avec lui. Il te demande de monter sur tes épaules, de faire la girafe. Tu exécutes son souhait et vous marchez tous les deux, immenses, domptant cette forêt sauvage. « Dis, Rice, tu pars bientôt ? » Il a ce petit accent qui te fait souvent rire. Le tien est affreux, tu mâches tes mots. Lui au contraire à tendance à épeler chaque syllabe. Adorable. « Oui bientôt, dans deux semaines. » Il continue de jouer avec tes cheveux. « T'es content ? » Tu lui souris un peu, pas trop, parce que tu ne sais pas. « Tu vas retrouver ta famille, tes amis, ils vont être contents. » Tu penses à tes parents, à ta sœur, à tes proches, à Antigone, et puis à toutes les filles que tu te taperas. C'est mauvais. « J'imagine. » souffles-tu en continuant de regarder le paysage, de marcher un peu plus vite parfois pour surprendre le gosse. « Tu reviendras ? » Tu ne peux pas lui faire cette promesse, tu as pleins d'autres missions avant de pouvoir revenir au Cambodge. Et puis, le temps libre que tu t'accordes, tu le passes à faire la fête avec tes potes, à baiser, te défouler. Défouler de quoi ? « Tu m'oublieras. » Il tape des pieds, signe qu'il veut redescendre. Tu le poses alors sur un tronc d'arbre, tombé au sol. Il a des joues un peu trop grosses, une petite bouche et des cheveux épais. Il est mignon. « J'oublierais jamais mon frère. » Et tu l'embrasses sur le font. Tu l'aimes ce gamin. Ce petit bout de vie pour qui tu t'inquiéteras toute ta vie, pour qui tu donneras tout.

« Antigone ! Antigone viens là tout de suite ! » cries-tu après avoir claqué la porte de ta chambre. Elle est partie, la rousse est partie, la belle étudiante en arts n'est plus dans ton lit, ses affaires sont partis. Tu entends des pas calmes arriver, elle a la tête haute et te défies du regard. Elle l'a donc fait. « T'es sérieuse ! Tu l'as viré de chez moi ? » Elle hausse les sourcils, certainement choquée par tes propos, ou alors ça l'amuse. « Chez toi ? Chez nous oui ! Et je suis plus souvent dans cet appart que toi, je te signale. » Tu ouvres le robinet pour te faire couler de l'eau. Besoin de boire, besoin de vider tes nerfs. Tu iras sûrement courir après, le sport d'hier soir ne t'as pas suffit. « Je suis peut-être moins présent, mais je paye autant le loyer que toi. » Elle hausse les épaules et s'installe sur le canapé. Elle s'est préparée un déjeuner, léger, équilibré, comme elle le fait tout le temps. Tu lui piques un pancakes dans le vent et boit dans son verre, changeant la chaîne de télévision. « Putain mais tu peux pas te préparer à manger tout seul ? » Tu te retournes, debout, la télécommande à la main. Vous ne faîtes que gueuler ce matin, ça t'énerve. Tu vas partir bientôt de toute façon, et sûrement croiser la rousse après. Ses lèvres te manquent. « Oh c'est bon, j'ai pas le temps. » grinces-tu entre tes dents. Elle rit, pas beaucoup mais juste assez pour montrer son faux-enthousiasme. « T'as pas l'temps ? Tu fous rien de ta journée ! » Elle mange son pancakes, doucement, lentement. Tu lui en prends un deuxième, elle proteste une nouvelle fois. « Faut que j'aille courir avant d'aller au taff. » Tu manges rapidement, ne prenant pas le temps de mâcher correctement. Tu te sers un autre verre d'eau, tout seul, pour ne pas l'entendre ronchonner et file dans ta chambre mettre une tenue adéquate pour ton jogging. Un papier est posé sur ton lit, mal déchiré, écrit en vitesse. Un numéro, un prénom. La rousse. Tu le glisses dans ta poche, pensant l’appeler ce soir, mais la prochaine dans ton lit ne sera pas elle. Une autre, une chinoise, ou une brésilienne cette fois. Parce que ce n'est jamais la même, parce que tu ne les rappelle jamais. « Je rentrerais tard, me prépare pas d'assiette. Bonne journée Fitz. » Et tu pars comme un courant d'air. T'es jamais bien présent. Vous vous dîtes colocataires, mais tu sembles plus squatteur quand tu rentres à l'appartement. Et elle ne te dit jamais rien, c'est comme ça. Peut-être ira-t-elle en chercher un autre, de compagnon de maison. Tu préfères pas, tu protesteras de trop si elle le fait. Tu claques la porte derrière toi, tu ne sais pas les fermer correctement. Peut-être ce soir rammènera-t-elle un prétendant, peut-être qu'enfin tu verras le visage d'un mec qui lui tourne autour. Parce que t'es pas naïf, tu sais bien qu'elle en voit des mecs. Mais tu dis rien. (..) Il est pas loin d'être trois heures du matin, tu es sorti avec des collègues. Un peu bourré, tu pues le joint et l'alcool. Dégueulasse. Tu transpires même un peu, trop, tu pues. T'as du mal à ouvrir la porte parce que tu ne trouves pas le trou de serrure. Elle ferme toujours la porte, la nuit, au cas où des voleurs viendraient. Chochotte. Quand tu arrives enfin à ouvrir cette fichue porte, tu la ferme à moitié, elle va sûrement se rouvrir en pleine nuit. T'essaye de marcher en direction de sa chambre. Pas la tienne. Tu ne vas jamais dans la tienne. Tu n'aimes pas être seul, surtout quand ton esprit défaille. T'as besoin d'elle. Alors tu rentres, essayant de faire le moins de bruit possible même si c'est perdu d'avance. T'as faim, ton ventre crie. T'enlèves tes chaussures, ton jean, ton t-shirt, ne gardant que ton slip. Et tu te glisses sous ses draps chauds et doux. Te colle à elle comme un enfant, tu passes une main au dessus de son crâne et l'autre sur son ventre. Mais elle se retourne, quelques secondes plus tard. Vos fronts se font face, vos lèvres à quelques mini-mètres, tes mains près de ses fesses. Il ne se passera rien qu'une étreinte. Jamais il ne se passera quelque chose, juste un peu d'affection, un peu de repos, mais jamais. Jamais.