Un pas. Une bouteille de whisky vide. Deux pas, une seringue fraîchement utilisée. Trois pas, sa mère couchée sur le sol. « Maman, j’ai faim ! » Pas de réponse. Giulia pouvait sentir cette odeur, cette horrible odeur qu’elle avait l’habitude de sentir : l’alcool. Et comme d’habitude, son père devait être couché sur un lit de bouteille lui aussi. Puis, elle vit sa sœur. Elle était dans le même état qu’elle. Impuissante du haut de ses huit ans. Incapables. Les deux parents n’étaient que des incapables. Incapable d’élever leurs deux jumelles, incapables de les rendre heureuse. Jamais un cadeau, jamais un câlin, jamais rien. Alors les deux filles se débrouillaient seules. Leurs devoirs, elles les faisaient ensembles, la tendresse, elles se l’accordaient mutuellement. Et elles cuisinaient ensemble, développant d’incroyables talents culinaires. De temps en temps, il fallait tout de même ramasser quelques bouteilles et faire le ménage. Ses parents, il arrivait souvent que Giulia les haïssent, les insultent, les regrettent. Mais ce qu’elle ne voulait pas, c’était voyager de familles d’accueil en familles d’accueil. Oui, c’était ça, sa hantise de petite fille. Etre séparée de sa sœur et se retrouver dans une famille soi-disante aimante, attentionnée. Au fond d’elle, elle savait que même si ses parents ne l’aimaient peut être pas, d’autres ne le feraient pas non plus. Tout ce dont elle était sûre, c’était que Dylan l’aimait. Et ce qu’elle voulait, c’était rester avec elle. Et, dans l’obscurité de la pièce, Dylan s’est justement approchée d’elle. Un moment d’émotion, un moment de complicité. Elles se jurèrent qu’elles se serreraient les coudes à tout jamais.
Et puis, après leur pacte, un détail attira leur attention. Un détail qu’elles n’avaient jamais remarqué, un détail qui fendit le cœur de Giulia. Toute sa vie, elle avait souffert. Pendant huit ans, elle avait mal au cœur pour sa jumelle qui vivait la même chose qu’elle. Le petit ventre rond de maman en disait long sur ce futur nouveau-né qui allait souffrir autant qu’elles. C’est avec une profonde déception que les deux soeurs prirent un paquet de pâte pour enfin pouvoir manger.


« La garde est accordée à mesdemoiselles Giulia Bennet et Dylan Bennet. » Trois coups. Le marteau frappa trois coups. Trois coups qui marquaient la délivrance, trois coups qui annonçait une victoire bien méritée. Giuli se souvenait comme si c’était hier de ce jour où elle et Dylan avait prit la décision d’obtenir la garde de leur plus jeune sœur. Après des jours, des semaines, des mois, des années à vivre avec des junkies, doublés d’alcoolique en guise de parents, elles n’avaient pas eu d’autre choix. Giulia s’était sentie tellement mal de voir la petite vivre ce calvaire avec elles. Ramasser les bouteilles, se débrouiller seules. Du moins, sans les parents. Il est vrai qu’aucune des trois filles Bennett n’avait réellement été seule. A chaque instant, à chaque secondes, Giulia savait qu’elle pouvait compter sur ses sœurs et que c’était réciproque. Puis, un nouvel espoir a immergé de la noirceur de leur famille. Un héritage assez conséquent de Papy et Mamy. Un miracle qui allait leur permettre de sortir de là. Avec de l’argent sur leur compte en banque, elles avaient une nouvelle chance. Et puis, un soir, elles se sont décidées. Les deux jumelles allaient demander la garde d’Hayley. Ce ne fut pas une bataille facile à gagner. Papa et maman n’étaient pas d’accord, loin de la. Elles durent patienter des mois et des mois. Des années d’incertitudes, à détruire la crédibilité de leurs parents. Elles n’hésitèrent pas une seule seconde à dévoiler la moindre petite bouteille cachée sous le lit ou dans le placard.  Filles indignes, honteuses, on les a qualifiés de tout. Parfois, il arrivait que Giulia doute d’une victoire possible. Mais elle n’avait qu’à regarder dans les yeux de ses sœurs pour se rendre compte que tout était encore possible.
Et voilà. Le jour de la réponse était arrivé. Un soulagement divin, une nouvelle vie. Elle serra ses sœurs très fort. La victoire lui donnait les larmes aux yeux. Giulia savait que sous peu, toutes trois s’envoleraient pour la Californie.

Bluffés, charmés, enchantés. Les acheteurs potentiels avaient tous applaudis après le beau discours de Giulia et les petits essais de cosmétiques. Radieuse et souriante, son tailleur lui allait à merveille. Rare sont ceux qui pourraient deviner qu’elle promeut la marque Lancôme. Légèrement maquillée, elle conciliait élégance et simplicité. C’était peut-être cette raison qui avait poussé les acheteurs à franchir le pas et à faire de belles commandes pour leurs parfumeries. La marque française s’épanouissait en Californie, et Giulia y était pour quelque chose. Elle était fière. Oui, fière d’elle. Durant sa scolarité, elle avait toujours travaillé dur, très dur pour ne plus dépendre de ses parents. Elle avait souvent sacrifié les soirées entre amis pour se consacrer à ses études. Plus vite elle était indépendante, mieux c’était. Et voilà que maintenant, elle jouissait pleinement de sa liberté et de son succès. Elle savait qu’en rentrant, elle retrouverait ses sœurs et que deux alcooliques ne recouvreraient pas le sol, une seringue plantée dans le bras. Pressée de rentrée, elle couru presque vers la sortie. Sa petite mallette à la main, elle était perdue dans ses pensées. Si perdue, qu’elle ne vit pas cet homme en face d’elle. Si perdue, qu’elle le percuta de plein fouet. Elle le regarda, un sourire aux lèvres, balbutiant un petit « désolé, je n’ai pas fait attention. » Il était charmant. Bien plus que charmant. Il avait un regard si doux qu’elle aurait pu rester plongée dedans pendant des heures. Et ce sourire, bon dieu ce sourire. Lui avait l’air tout aussi enchanté qu’elle de son instant d’inattention. Mais, quelque chose vint troubler se beau tableau. Une odeur infâme qu’elle connaissait si bien. Une sale odeur de whisky qu’elle avait senti trop de fois à son goût. La demoiselle prit peur et s’envola, sans même s’excuser d’avantage. Il avait beau être attirant et sympathique, le fait qu’il ait fait tomber une bouteille de whisky à ses pieds suffisait pour qu’elle le raye de ses pensées.