Vous savez, vous parler de moi, ce n'est pas la chose la plus évidente. J'ai eu une vie des plus normales, d'une banalité presque affligeante, et je ne suis pas fière des rares rebondissements dont j'ai pu être l'auteur ou la victime. Mais commençons par le début.
Je suis née à Lodi, une petite ville dont vous ne connaissez sûrement même pas le nom, à 400 miles au nord de Pasadena. C'était l'archétype même de la petite ville californienne, celle que vous voyez dans les films... quelques grandes rues (ce serait prétentieux d'appeler ça des avenues), et un labyrinthe de petites ruelles, pour même pas 70 000 habitants. Dans mon quartier, tout le monde se connaissait. Tout le monde fréquentait les mêmes commerces, la même école, la même église, et je n'étais pas différente des autres. J'avais pour moi la chance d'avoir un physique relativement avantageux, et qui attirait l'attention. J'étais une bonne élève, et bien évidemment, comme toute jeune étudiante prétentieuse et sûre d'elle, je faisais partie de l'équipe des cheerleaders du lycée. Rien d'extraordinaire, comme vous pouvez le constater.
Une fois le lycée terminé, je ne rêvais que d'une chose : quitter cette petite ville étouffante, et partir, partir loin, peu importe où, pour travailler, me rendre utile, aider les gens... Quoi de mieux pour ça que d'intégrer l'armée, a fortiori en tant qu'infirmière ? Ca m'apportait la satisfaction d'aider les autres tout en prenant le moins de risques possibles. J'ai été envoyée sur divers lieux de conflits. Etre séparée des miens, dans des conditions aussi difficiles que celles-ci... Là-bas, personne ne me connaissait. Je n'étais pas la cheerleader admirée par ses copains d'enfance, je n'étais pas la fille du médecin local, près de l'épicerie, non. Je n'étais personne, juste une aide pour ceux qui en avaient vraiment besoin. Je me suis renfermée sur moi-même, je suis devenue tiimide, transparente. Personne ne me remarquait, et d'ailleurs ça n'était pas mon but. J'avais perdu la notion du temps. La date de mon entrée dans l'armée, les jours, les semaines passées sur ces zones de conflit... Tout était flou, jusqu'à ce fameux jour de 2004.
Je ne croyais pas aux coups de foudre. Mais pourtant, ce jour-là, j'ai rencontré le caporal Jayden Pierce. Je ne sais pas ce qui s'est passé dans ma tête à ce moment là. Il m'avait remarquée, lui, alors que depuis des années j'étais invisible. Je n'ai même pas réfléchi aux conséquences quand, le jour même, nous avons couché ensemble, au milieu de l'infirmerie. Bien sûr, une fois passés les premiers moments de bonheur intense où on ne pense pas au futur, j'ai commencé à douter. Mais notre couple, aussi étrange soit-il, formé sur un coup de tête, a tenu le coup. Et quatre ans plus tard, j'étais enceinte. Je me rappelle encore avoir accepté sa demande en mariage dans ce bar minable... mais ça n'avait pas d'importance. J'étais heureuse. J'ai quitté mon poste dans l'armée pour me consacrer à notre fille, Grace, née en 2009. A la demande de Jayden, je suis retournée en Californie, non pas à Lodi mais à Pasadena, la ville de son enfance. C'était très bien ainsi. Je ne voulais pas retourner à Lodi. Vivre l'extraordinaire pour retourner à son point de départ ne me tentait pas vraiment. Et puis Pasadena était une petite ville accueillante, où  je me suis établie en tant qu'infirmière indépendante.
Notre peite vie à tous les trois était parfaite jusqu'en 2013. Malgré ses réticences, Jayden fut contraint de retourner au front, dans une situation plus tendue que jamais, tandis que je restai à Pasadena avec Grace. Trois mois plus tard, on me renvoya mon mari traumatisé et handicapé pour le restant de ses jours, pleurant son meilleur ami dans un corps meurtri. La suite, je n'en suis pas fière. Moi qui me croyais tellement forte, je n'ai pas tenu le coup. Il avait tellement changé. Il avait des sautes d'humeurs, il était violent.... J'ai essayé. Je vous jure que j'ai essayé autant que j'ai pu. J'ai essayé d'attendre, j'ai essayé de comprendre... Je n'ai pas pu supporter cette situation. Je n'étais pas forte. J'ai tout abandonné. Lui, notre vie, notre histoire, tout. Je ne lui en voulais pas à lui, je n'étais juste pas capable de supporter tout ça.
Je n'ai pas quitté Pasadena. Je n'ai pas laissé notre emploi. La ville est assez grande pour que je puisse l'éviter au quotidien. J'essaie d'être appréciée des gens, qu'on me respecte, qu'on m'admire. Finalement, je n'ai pas changé depuis Lodi.