(j.s) ⊱ sorry, i can't help you anymore

Elle émergeait. Doucement. Réveillée par la chaleur du soleil qui léchait sa peau hâlée et par la fine brise qui faisait bouger les rideaux de sa chambre. Sorenza massa délicatement ses paupières, ouvrit un œil, puis l’autre et grimaça lorsque son regard fut confronté au réveille-matin. Il n’était que 7h. Elle qui pensait profiter du week-end pour faire la grasse-matinée, raté ! La Sicilienne soupira, mais décida de lézarder quelques minutes supplémentaires dans son lit, peut-être dans l’espoir que Morphée ne la garde une petite heure supplémentaire. En vain. Il était 7h30 lorsqu’elle quitta enfin le confort de son lit pour s’adonner à son petit rituel quotidien. Sorenza n’avait pas à se plaindre ; elle dormait très bien, ce qui n’était malheureusement pas le cas de tout le monde. Un nouveau pli d’inquiétude marqua son front, comme à chaque fois qu’elle songeait à Dean et à ce qu’il traversait en ce moment. La guerre change un homme et elle est bien placée pour le savoir, car il n’y avait pas que son meilleur ami qui en avait fait les frais. Récemment, le Directeur de la structure lui avait confié un cas très sensible, celui d’un militaire blessé au combat. Jayden Pierce était un grand gaillard cloué dans un fauteuil ; il n’était pas très bavard, mais Sorenza sentait qu’il n’acceptait pas sa condition et tout ce qu’elle avait provoqué dans sa vie. Peut-être était-ce pour cela que le Directeur lui en avait confié la responsabilité ? En tout cas, les choses ne s’étaient pas déroulées comme ils l’avaient espéré. Jayden était vraiment imbuvable et la seule présence qu’il tolérait était celle d’Hanoï, la chienne de Sorenza. Pourtant, ça n’avait pas été faute d’essayer. Ce que Jayden avait interprété comme compassion n’était en fait que de la compréhension, car elle-même était passée par là. Elle savait. La kinésithérapeute avait tout mis en œuvre pour lui venir en aide, pour rendre les séances plus conviviales, mais une chute malencontreuse avait suffit à mettre le feu aux poudres. A l’instant où Sicilienne s’était précipitée pour l’aider à se relever, Jayden l’avait repoussé de toutes ses forces et elle était tombée à son tour en se cognant méchamment la tête. Un pansement cachait toujours l’entaille qui, heureusement, n’avait pas nécessité de points de suture. Cependant, la blessure n’était pas que physique. Sorenza n’arrivait pas à oublier son geste et elle avait fini par demander à son supérieur hiérarchique de lui désigner un autre kinésithérapeute.

Sur le coup de 8h30, la Sicilienne était fin prête à sortir. Elle n’avait pas de destination précise en tête, mais à en croire les animateurs radio, la météo de Pasadena était idéale : ensoleillée, sans le moindre nuage. Un temps parfait pour une petite promenade matinale avec Hanoï, peut-être bien au bord du lac. Mais, pour l’heure, Sorenza avait surtout besoin d’un bon café. Fantasy Frostings lui semblait être l’endroit idéal : le café était délicieux, la cuisine excellente… Aussi lorsqu’elle poussa la porte de la petite échoppe, la Sicilienne ne fut guère surprise de voir que les tables étaient presque toutes occupées.

Sorenza salua le patron des lieux qui lui adressa un sourire enjôleur et se mit en quête d’une table. Puis, sans crier gare, sa chienne passa devant elle. « Hanoï ?! » s’exclama-t-elle, en se mettant à la suivre. Le Golden Retriever s’arrêta à une table occupée pour en saluer l’occupant à qui Sorenza ne prêta pas attention immédiatement. « Excusez-moi, elle ne fait jamais ça d’habitude… » balbutia la jeune femme en affichant un sourire gêné. Puis, son regard croisa le sien. En une fraction de secondes, son sourire s’effaça, son sang se figea et elle se mit à déglutir difficilement. « Jayden… » souffla-t-elle. En se souvent que son Directeur lui avait chargé de lui annoncer son changement de kiné, Sorenza s'enfonça un peu plus dans son malaise. Elle voulait faire demi-tour et le planter là, mais ses pieds restaient profondément ancrés dans le sol. Comme paralysés de nouveau.

keep me down to earth.

✣ lights will guide you home.

~ jayden & sorenza

« Papaaaaaaaaaaaa ! ALLER DEBOUT ! »
Un mouvement. Le lit bougeait de droite à gauche, comme le mouvement d’un bateau sur l’eau. Il dormait si bien, pourquoi le réveiller si brusquement ? Non sérieux, c’était nul, c’était pas juste ! Un grognement se fit entendre, tandis qu’il ouvrait difficilement les yeux. Une petite boule d’énergie brune s’effondra brusquement sur son ventre, lui arrachant un gémissement mais aussi un rire. Tellement adorable. Finalement, il tourna alors le regard vers le réveil près de lui : 7h30. Putain ! Il était en retard. Alors, avec un soupir, il se redressa, plaça la couette sur son bassin & se pencha sur le côté, tendant le bras droit, pour tenter d’attraper l’accoudoir de son fauteuil. Là, il le tira difficilement vers lui. Cinq minutes. Cinq longues putain de minutes. Il aurait pu faire ça en deux secondes s’il avait été valide, mais non … Un soupir de soulagement quand le fauteuil fut près de lui. Là, il poussa sur ses bras & s’assit délicatement dedans. C’était pas une vie … Il avait envie de frapper le mur, mais il ne le fera pas. Pour Grace. Il se dirigea vers la salle de bain & une demi-heure plus tard, il fut sorti de la douche. Un klaxon. Elle était en bas. Alors, il prit la petite sur ses genoux, son cartable dans les bras, sorti de l’appartement, prit l’ascenseur & descendit dans la rue. « Toujours en retard à ce que je vois … » Il lui adressa un sourire narquois. « Désolé ma roue était coincée dans le trou des chiottes. » La femme blonde soupira, prit sa petite dans les bras, la mit dans la voiture & démarra.

Avec une pointe de mélancolie dans le regard, Jayden regarda la voiture s’éloigner. & si il n’avait pas eu cet accident, est-ce que son mariage aurait tenu ? Un soupir & il tourna son fauteuil. Il n’avait que des conneries dans sa vie & voilà comment il avait fini … Un mariage foutu en l’air, un meilleur ami dans l’au-delà, des jambes invalide & un appartement insalubre dans un quartier de merde. Aurait-il du écouter ses parents ? Très bonne question. Il se mit alors à rouler, mettant ses écouteurs dans ses oreilles & s’arrêta à un arrêt de bus. Centre ville. Il n’aimait pas la surpopulation, mais il avait besoin d’évacuer. Le bus arriva, il s’arrêta devant lui, alors les portes s’ouvrirent. & là, ce fut le drame. Il ne put monter seul. Quelqu’un dut l’aider en poussant le fauteuil puis un autre homme souleva le devant. Putain, sérieux ! Il avait toujours tout fait tout seul & voilà qu’il devenait un assisté. Il avait envie de se tirer une balle, de balancer le fauteuil contre un mur, d’hurler, mais il ne fit rien. Se contentant d’aller se mettre au fond du bus. Vingt minutes & il fut au centre ville. On l’aida de nouveau à descendre. Il voulut crier qu’il n’avait besoin de personne, mais il se tut. Là, il roula rapidement, s’énervant sur les roues & se dirigeant vers un petit bar sympa. Les gens s’écartaient à sa vue … De peur, non de pitié. Il détestait ce regard. « Je suis pas mourant, putain ! » Il avait marmonné cela, mais une femme le regarda en souriant, compatissante. Alors, il lui fit un bras d’honneur. Ta pitié, tu peux te la foutre au cul, connasse. La bonne femme ouvrit alors de grands yeux, en soupirant & s’en alla.

Après plusieurs minutes, il entra dans le Frosty Fantasy. C’était bondé. Comme toujours. Il n’aimait pas cela, mais il avait faim. Le directeur lui adressa un petit sourire, qu’il ignora, & il s’installa à une table, seule & isolée. Enfin tranquille … Quoique pas pour longtemps puisqu’un chien vint rapidement poser sa tête sur ses genoux. Jay’ baissa alors le regard & en reconnaissant la tête beige d’Hanoï, il eut un petit sourire. Le seul vrai sourire de la journée. Mais ce dernier disparu rapidement quand il entendit la voix de sa maitresse. Les ennuis revenaient … « Salut … » Même pas un « ça va ? » Jay’ ? A quoi bon ? Son assiette arriva rapidement & sans même adresser un regard de plus à la jeune femme, il la commença tranquillement, donnant un bout de bacon à la chienne. En fait, c’est comme si Sorenza n’était même pas là.

made by pandora.----

Sorenza tenta à de nombreuses reprises de s’extraire de son point d’ancrage, mais rien n’y faisait ; c’était comme si une force mystique la retenait. Et aussi parce qu’Hanoï ne semblait pas vouloir quitter son nouvel « ami » qui la soudoyait de morceaux de bacons (au grand dam de sa propriétaire, d’ailleurs). La situation était d’autant plus dérangeante que la Sicilienne n’avait aucune idée de la conduite à adopter face à Jayden. Il était tellement irascible que la kinésithérapeute avait fini par avoir peur de lui et de ses réactions impulsives ; c’était justement ce qui l’avait amené à renoncer de le soigner. Sorenza pensait vraiment que son expérience avec Dean l’aiderait, mais si elle s’en était sortie avec l’ex médecin-militaire, c’était uniquement grâce à ce lien d’amitié qu’ils partageaient depuis les bancs de la fac. Elle avait eu tort de croire que tous les soldats affectés par la guerre se ressemblaient. Jayden était différent. Très différent. Il l’effrayait autant qu’il piquait sa curiosité. En ce moment précis, par exemple, Sorenza se demandait si son comportement allait être différent de celui qu’il adoptait au centre de rééducation. Que nenni ! L’américain n’en était que plus froid. Indifférent, même. Seule la présence d’Hanoï lui importait. « Salut… » dit-il simplement, d’un ton bourru et tellement froid qu'elle en eut un frisson désagréable. Il avait dit ça avec nonchalance, par politesse ou par réflexe, elle n’en savait trop rien. Jayden ne daigna même pas poser les yeux sur elle. Pendant un instant, la jeune femme pensa que c’était par culpabilité mais il n’y avait pas la moindre trace de remords sur son visage. Que de la rancœur. Non. Décidemment, le courant ne passait vraiment pas entre eux et Sorenza ne pouvait que se féliciter d’avoir cédé son cas à un autre. C’était préférable autant pour lui que pour elle, qui se serait sûrement rendue au boulot tous les matins avec une énorme boule au ventre rien qu’en songeant à leur séance à venir. « Wow, toujours aussi sociable à ce que je vois. Il faut vraiment avoir 4 pattes, des poils et une queue pour obtenir un minimum d’attention… » railla-t-elle. Le ton qu’elle venait d’employer était tellement empreint d’amertume que Sorenza s’en étonna elle-même. C’était bien la première fois que quelqu’un – un patient, de surcroît – faisait ressortir ce côté de sa personnalité jusqu’alors inexploré. Et elle en avait honte. Jayden avait mauvaise influence sur elle ; il était en train de la transformer en une personne qui ne lui ressemblait pas, une personne aussi aigrie que lui. « J’espère que mon remplaçant aura plus de chance que moi. Ca suffit, Hanoï. Viens, on rentre à la maison. ». Se disant, elle tira légèrement sur la laisse et la chienne lui obéit sans opposer la moindre résistance (même si le bacon était extrêmement bon). « Bonne journée. » conclut-elle en faisant demi-tour, se précipitant déjà vers la sortie pour ne pas lui laisser le temps de répliquer. Son envie de café et de muffins lui était totalement passée désormais et Sorenza n’aspirait qu’à rentrer chez elle et ne pas mettre le nez dehors de toute l’après-midi.