I ► « She’s a babe. » commenta Andrew sur un ton mi-plaintif, mi-envieux. « Je suis d’accord. » répliqua son camarade de classe en observant la lointaine silhouette de la petite nouvelle qu’il convoitait depuis l’instant où elle avait franchi leur salle de classe. Elle s’appelait Sorenza Di Marco, d’origine sicilienne et japonaise ce qui lui conférait un charme particulier. Son teint était légèrement hâlé, ses longs cheveux noirs et soyeux lui donnait l’envie irrépressible d’y passer ses doigts. Elle avait aussi des lèvres pulpeuses et des yeux verts-noisettes légèrement bridés qui lui donnait un regard à la fois rieur et incroyablement doux. Et cet accent ! Le plus terrible restait sans conteste son sourire craquant qui creusait de petites fossettes aux creux de ses joues et qui avait – à ne pas en douter – le pouvoir de faire fondre n’importe quel cœur de glace ; elle en avait même fait la démonstration en suppliant l’irascible professeur d’histoire de retarder son évaluation. « J’ai l’intention de l’inviter au bal de promo. » se lança finalement Andrew. « Quoi !? Ca va pas ? Tu vas te prendre une taulée et je vais encore devoir planquer tes CD de Radiohead pour éviter que tu ne sautes par la fenêtre de ta chambre. » répondit Michael, complètement paniqué. « Euh… J’habite dans un plain-pied. ». Son ami laissa échapper un soupir rageur et secoua la tête de gauche à droite. « Rhaa, c’est pas possible ! » – « Si, c’est possible grâce à ça ! TADAM ! » dit-il en sortant la veste aux couleurs de l’équipe de football du lycée. « OH MY GOD, ok… Te suicides pas, c’est pas la peine parce que t’es bien partie pour te faire troncher sur le terrain. Tu te souviens de notre première année ici ? Une armoire à glace t’a envolé sur le terrain et il ne s’en ai même pas rendu compte ! » – « Sois gentil, épargnes-moi ce souvenir humiliant. ». Michael ne put s’empêcher de pouffer de rire. « Parce que tu crois qu’ils vont se gêner tes nouveaux potes ? » – « Tu ne serais pas un peu jaloux, par hasard ? ». Piqué au vif, son ami secoua la tête de gauche à droite et soupira : inutile d’insister. « Regardes, elle repart toute seule ! Je saisis ma chance, souhaites-moi bonne chance ! ». Michael se contenta de marmonner entre ses dents, frustré d’être ainsi abandonné au profit d’une fille. Andrew se mit à courir jusqu’à Sorenza qui s’éloignait déjà pour regagner sa maison. « Hey, Sorenza ? ». Il sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine lorsqu’elle se tourna vers lui pour le regarder. « Salut Andrew ! » répondit-elle en lui souriant. « Tu connais mon prénom ? » s’étonna le jeune homme tandis qu’elle acquiesçait d’un signe de tête. Il en oubliait déjà totalement la raison pour laquelle il l’avait suivi pour engager la conversation, mais Sorenza le sauva en lui montrant la veste de l’équipe du lycée. « Tu fais partie de l’équipe ? ». Andrew lança sa veste par-dessus son épaule en se donnant l’air viril, mais soudain : « AIEUH ! T’as failli m’éborgner, crétin ! » pesta Michael. Qu’est-ce qu’il faisait là, celui-là ? « Désolé. Oui, je fais partie de l’équipe maintenant et je vois que tu es toute seule, tu voudrais qu’on te raccompagne, c’est sur notre chemin. ». Sorenza fronça les sourcils d’un air suspicieux, ils n’avaient jamais pris ce chemin auparavant. « Ok. » finit-elle par céder avant d’ouvrir la marche. Avec Michael, le chemin fut assez mouvementé, mais par chance Andrew parvint à le perdre aux abords d’un magasin de jeux vidéos. « En fait, je voulais savoir si… si tu voulais m’accompagner au bal de promo. Comme tu es arrivée au beau milieu de l’année scolaire, j’ai pensé que tu pourrais avoir besoin d’un cavalier. Avoues que ce serait dommage de ne pas assister à une tradition purement américaine ! ». Sa demande provoqua un léger rire de la part de Sorenza qui reprit son sérieux, prenant un certain plaisir à faire durer le suspens jusqu’à la dernière minute. D’ailleurs, elle ne lui répondit que lorsqu’ils s’arrêtèrent devant chez elle après de longues minutes qui lui semblèrent aussi courtes qu’interminables. « Tu n’as pas répondu à ma question… » – « Mh… C’est d’accord, j’accepte. » déclara-t-elle finalement, le prenant tellement de court qu’il afficha un air médusé. « Sérieux ? ». Amusée, Sorenza se hissa sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur sa joue. « Bonne soirée. » murmura-t-elle avant de s’éloigner. Elle se retourna à mi-parcours et se mit à sourire de plus belle en le voyant jubiler.

II ► Sorenza émergea avec lenteur. C’était une drôle de sensation. Elle avait comme l’impression de sortir la tête de l’eau. Tout était soudainement amplifié. Les mouvements autour d’elle, le bruit strident du monitoring, l’odeur typique des hôpitaux et enfin la lumière qui lui paraissait aveuglante après autant de temps passée dans le noir, elle poussa un gémissement et chercha à s’en protéger les yeux mais, une silhouette était déjà penchée au-dessus de lui. « Sorenza ? Tu es réveillée ? ». Elle fronça les sourcils, ses paupières lui semblaient encore trop lourdes mais, elle n’avait pas besoin d’ouvrir les yeux pour reconnaître la voix de sa mère. « Maman. » gémit-elle faiblement. Ce simple mot semblait lui faire autant plaisir que la première fois où elle l’avait prononcé. « Un médecin, vite ! MA FILLE EST RÉVEILLÉE ! ». De nouveau, un gémissement lui échappa. Le cri de sa mère cognait encore dans sa tête. « Comment tu te sens, ma chérie ? » demanda-t-elle, sans cesser de caresser ses longs cheveux noirs identique aux siens. Sorenza passa faiblement une main sur son visage et chercha aussitôt à se débarrasser du tube d’oxygène qu’on lui avait enfoncé dans le nez, puis ouvrit difficilement ses yeux. « Pas très bien, mais comment va papa ? ». Les souvenirs de l’accident lui revenaient en mémoire au fur et à mesure que son cerveau s’éveillait. Sa vision était rendue floue mais, elle voyait tout de même sa mère lui sourire le plus tendrement du monde. « En deux mois, il a eu le temps de récupérer. ». Cette fois-ci, Sorenza fut totalement réveillée. « Répètes-moi ça. ». Kyoko se mordilla la lèvre, elle ne savait pas par où commencer. « Tu étais dans un état critique et les médecins t’ont plongés dans un coma artificiel pour te permettre de récupérer plus facilement. On a bien cru te perdre… » dit-elle, d’une voix brisée. Sorenza afficha un air plus qu’étonné, elle posa les mains sur le lit, prêt à se redresser mais, le médecin et les infirmières entrèrent dans la chambre et ne lui laissèrent pas le temps de respirer. Elle tenta de les repousser en effectuant de grands gestes avec ses bras puis tenta de se redresser lorsque qu’un détail inquiétant le frappa. « Que se passe-t-il, Mademoiselle ? ». Cette fois-ci, une expression d’horreur marqua ses traits. « Mes… Mes jambes. ». Tous le regardaient avec incompréhension alors que les larmes lui montaient aux yeux. « Maman ! Mes jambes… Je ne sens plus mes jambes ! ». Et après toute une batterie d’examen, le verdict fut sans appel. La colonne vertébrale de Sorenza avait été compressée et la jeune femme avait perdu l’usage de ses jambes, mais impossible de savoir si les dégâts étaient momentanés ou non. Les médecins étaient pessimistes, mais Sorenza avait l’étoffe d’une battante et ne comptait pas renoncer aussi facilement. Plusieurs jours passèrent avant qu’elle ne reçoive enfin la visite d’Andrew, son petit-ami. Tous les autres étaient venus sauf lui. « Hey… » lança-t-il maladroitement en lui tendant une boîte de chocolat. « Salut… » lui sourit-elle en se redressant sur son lit. « Je t’ai apporté des chocolats… Comment tu te sens ? » demanda-t-il nerveusement. « Merci, c’est gentil. Eh bien, hormis le fait que je ne peux plus marcher, je vais bien. Et toi ? » – « Ca va, désolé de ne pas être passé plus tôt, mais… c’était dur. ». Sorenza fronça les sourcils, mais ne releva pas. Elle se contenta d’ouvrir la boite de chocolat qu’elle lui tendit. Il refusa, elle se servit. Ils discutèrent durant quelques minutes avant que Sorenza n’aborde le sujet pour lequel Andrew était principalement venu la voir. « […] ça risque d’être un peu gênant pour danser, mais je viendrais au bal. » – « Justement à ce sujet… Je… J’y vais avec Amanda. ». Sorenza eut l’impression de se prendre une gifle en plein visage. Depuis qu’elle était réveillée, elle ne pensait qu’à le voir et à se rendre avec lui au bal de fin d’année, et voilà qu’il lui avouait s’y rendre avec celle que l’on qualifiait de ‘mente religieuse’ dans tout le lycée ? « Et pourquoi ? Ca s’est décidé quand ? » – « Eh bien quand on a su que… tu… ne remarcherais plus. ». Sorenza poussa un hoquet de surprise et se mit à frapper aussi fort qu’elle le pouvait avant de balancer la boîte de chocolat à travers la pièce. « Sors d’ici. SORS D’ICI MAINTENANT ! » hurla-t-elle. Une fois la porte fermée, elle se jura de ne pas pleurer pour un type qui avait changé à l’instant où il avait enfilé cette maudite veste de quaterback.
 
III ► Des larmes de joie plein les yeux, Sorenza ne cessait d’admirer la médaille d’or qui pendait autour de son cou sous les applaudissements du public venu assister aux jeux paralympiques d’Athènes. Parmi eux, ses parents devaient sûrement trépigner d’impatience à l’idée de féliciter leur ‘petit soldat’ pour son excellente performance lors de l’épreuve d’aviron. Portée par la foule et sa victoire inespérée, Sorenza ne put retenir quelques larmes et accepta le bouquet de fleur avec un grand sourire. Pour une jeune fille handicapée, être médaillée d'or c’était… magique. Après la cérémonie, l’eurasienne fit glisser pour rejoindre ses parents, cependant Tony Castellini, LE journaliste de la télévision italienne lui coupa aussitôt la route pour l’interviewer. « Excusez-moi, Sorenza ! C’est pour la télévision, vous accepteriez de répondre à quelques questions ? ». L’adolescente esquissa un sourire timide et acquiesça d’un signe de tête entendu : c’était en quelque sorte le prix de la gloire et puis, c’était Tony ! « Parfait. » s’enthousiasma-t-il. « Le direct commence dans 3…2…1… Nous sommes en direct d’Athènes où vient de se dérouler la cérémonie des médailles dans la catégorie des jeux paralympiques d’été et cette année, une enfant du pays, Sorenza Di Marco tout juste âgée de 18 ans, vient de nous offrir la médaille d’or de tir à l’arc ! Tout d’abord, félicitations pour votre magnifique performance… » – « Merci » répondit-elle, la voix empreinte de modestie. « Qu’est-ce que cela vous fait d’être une jeune médaillée d’or ? ». Encore bouleversée, Sorenza mit un certain temps à répondre. « A vrai dire, j’ai encore du mal à réaliser. Il va me falloir un peu de temps pour me faire à ma nouvelle condition de championne paralympique. Cette victoire n’est pas que pour moi ; elle est aussi pour toutes les personnes qui ont souffert de préjugés à cause de leur handicap. J’ai réellement adoré cette expérience et cette solidarité entre nous tous, c’est ce côté fairplay qui manque cruellement à certains sportifs. » répondit-elle, sagement. Les questions s’enchainèrent et Sorenza fit de son mieux pour y répondre le mieux possible. « Et que comptez-vous faire après ça ? » s’enquit-il finalement, curieux. « Dans l’immédiat, rejoindre mes parents et on verra pour la suite. » – « En tout cas, l’Italie et la Sicile peuvent-être fières de sa championne paralympique et nous vous souhaitons une bonne continuation. C’était Tony Castellini pour Rai News 24. »[b]. Ils échangèrent encore quelques mots, puis Tony se permit de l’embrasser sur les deux joues et accepta même de lui signer un autographe à condition qu’il en fasse autant : c’était totalement fou ! Le cœur léger, Sorenza s’avança tout sourire jusqu’à ses parents qui se tenait un peu plus loin. La fierté qu’elle lisait dans leurs yeux lui mit du baume au cœur et lorsqu’ils se penchèrent pour l’embrasser, l’eurasienne les serra tout contre elle. [b]« Nous sommes extrêmement fiers de toi. » lui murmura sa mère. Sorenza sourit et resserra un peu plus son étreinte avant de se décider à les lâcher pour essuyer les larmes qui avaient roulé sur ses joues, puis elle se mit à rire bêtement. « Je viens d’être interviewer par Tony Castellini, il m’a même embrassé et m’a signé un autographe, tu te rends compte !? C’est complètement dingue ! » s’exclama-t-elle, toute excitée. « Faisons une photo pour immortaliser cet instant et après nous irons fêter ça comme il se doit ! » les interrompit son père. Sorenza marqua la pose avec sa médaille d’or et afficha son plus beau sourire avant que le flash ne se déclenche.

IV ► Le matin du réveillon de Noël, Sorenza s’était réveillée avec un grand sourire aux lèvres. Éternelle enfant, elle adorait cette fête de l’année parce qu’en plus de l’esprit de Noël, les Di Marco recevait leur famille à dîner dans leur nouvelle demeure californienne où ils avaient emménagé pour que Sorenza ait accès aux meilleurs soins. Les membres de leur famille avaient fait le déplacement du Japon et d’Italie. Sorenza était encore plus excitée par la surprise qu’elle réservait à son entourage : lorsque les douze coups de minuit sonneraient, l’eurasienne se tiendrait enfin sur ses deux jambes avoir passé quatre ans dans un fauteuil roulant. Quatre ans à se battre et à tenir tête aux médecins prétextant qu’il n'avaient plus d'espoir la concernant. Quatre ans de hauts et de bas. Après la médaille d’or aux jeux paralympiques, ce serait sa plus belle victoire ! Trop occupée à aider sa mère pour rendre l’endroit parfait et digne de leurs invités de marque, Sorenza ne vit pas le temps passer et se prépara à la dernière minute. Elle enfila la robe blanche qu’elle avait spécialement achetée pour l’occasion, sa mère se chargea de nouer ses cheveux en un magnifique chignon et une touche de maquillage plus tard, Sorenza était prête. « Tu es magnifique. » lui assura sa mère, émue. L’eurasienne embrassa sa mère sur la joue. « C’est toi la plus belle. » répondit-elle, sincère. « Ils arrivent ! » beugla son père depuis le rez-de-chaussée. « Nous sommes prêtes, on descend ! ». La soirée se déroula dans la joie et la bonne humeur, tous semblaient très heureux d’être ici, même l’acteur qui avait succombé au charme de sa cousine ! En fait, bien que très distingué, c’était un homme qui aimait les choses simples et avec qui l’on riait de bon cœur. Sorenza, quant à elle, était en grande discussion avec sa cousine. « […] J’ai une annonce à faire, mais j’attends minuit. » déclara Milena, laissant ainsi planer le doute. « Hey ! T’essaye de me voler la vedette ? Parce que j’ai moi aussi une annonce de minuit à faire. ». Elles éclatèrent de rire. « Tu veux que je le dise avant ou après toi ? » demanda sa cousine. L’eurasienne afficha un air pensif. « On règle ça à l’ancienne ? » proposa t-elle. « Ok ». Autrement dit, dans leur jargon : pierre, feuille, ciseaux et comme d’habitude, ce fut sa cousine qui l’emporta. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze... Ting, ting, ting. Milena s’était levée de sa chaise et avait tapé de son couteau contre le verre pour attirer l’attention. « S’il vous plait, Tiziana et moi avons une annonce à faire. Tout d’abord, merci de nous avoir invités, James et moi passons une excellente soirée en votre compagnie et ensuite, je tenais à vous annoncer que… nous attendons un heureux évènement. ». Les cris de joies ainsi que les félicitations fusèrent de toute part. Sorenza dû se faire violence pour ne pas sauter de sa chaise un peu trop tôt pour la prendre dans ses bras ! « Za, c’est à ton tour maintenant ! » lui rappela Milena, tandis que la jeune femme était perdue dans la contemplation de l’échographie qui circulait. « Oui. » dit-elle simplement en quittant son emplacement pour se mettre face à la table, posa les pieds à terre et se leva devant les yeux ahuris de sa famille. Il y eut un silence au cours duquel on put entendre le crépitement du feu de cheminée. « Euh… Joyeux Noël, oh oh oh ! » lança-t-elle pour les faire sortir de leur léthargie. « Sorenza… Tu marches ! Oh my gosh, I'm so proud of you... so proud of you. » fut la seule chose que son père parvint à dire de sa voix cassée avant de se lever pour la serrer contre lui. Il s'était toujours considéré coupable de l'état dans lequel sa fille se trouvait, mais Sorenza était incapable de le retenir contre lui ; il avait fait une crise cardiaque en conduisant, ce n'était pas sa faute... Ils étaient tous vivants aujourd'hui, c'était le principal. Son handicap ne l'avait pas freiné, bien au contraire. Il lui avait ouvert de nouvelles portes, de nouveaux projets d'avenir. Et pour la deuxième fois de sa vie, un tonnerre d’applaudissements se fit entendre dans la maisonnée.

V ► Avant que l’accident ne la prive de ses jambes, Sorenza n’avait aucune idée du métier qu’elle comptait exercer, mais avoir été clouée dans une chaise roulante durant une partie de sa vie l’avait grandement aidé à trouver sa vocation. Elle avait intégré une première année en faculté de médecine, s’était battue pour obtenir sa place en école de kinésithérapeute. L’eurasienne travaillait aujourd’hui dans un centre spécialisé en Californie, en bordure de Pasadena où elle venait d’acheter une maison. Installée à son bureau avec Hanoï, sa chienne devenue une vraie mascotte, à ses pieds, la jeune femme était chargée d’éplucher le dossier des dernières admissions et de les présenter au cours de la prochaine réunion. Le principe était simple : l’équipe de kinésithérapeutes se concertaient afin de trouver un programme adapté au patient et son ‘titulaire’ lui était désigné. Sorenza ne regrettait pas d’avoir choisi d’exercer un tel métier, rien n’était plus gratifiant pour elle que de voir une personne marcher de nouveau ; c’était comme voir un bébé faire ses premiers pas encore et encore. Elle devait bien avouer que ce n’était pas facile tous les jours : certains personnes perdaient espoir, se mettaient en colère lorsqu’ils ne réussissaient un exercice d’une simplicité enfantine pour les personnes lambdas, mais Sorenza réussissait toujours à calmer les esprits, à croire qu’elle était vraiment faite pour ça. « Sorenza ? Kyle voudrait te dire au revoir ». L’eurasienne afficha un sourire et fit signe à son collègue de le laisser entrer. Sorenza ressentit immédiatement un pincement au cœur : Kyle avait été son tout premier patient, le plus jeune aussi… Ça n’avait pas été facile tous les jours de le canaliser. Il avait vu tellement de personnes défilées et partir avant lui que son moral en avait pris un coup dans l’aile. Timidement, l’adolescent pénétra dans la pièce et fut suivi de près par son grand-frère et tuteur qui l’avait accompagné durant sa rééducation. « On tenait à vous remercier de tout ce que vous avez fait. » commença Thom avant d’adresser une légère tape dans l’épaule de son cadet pour le décoincer un peu. Ce n’était un secret pour personne (même pas pour l’intéressée) : Kyle avait le béguin pour sa kinésithérapeute. « Je n’ai fait que mon travail. » répondit modestement Sorenza pour détendre l’atmosphère. « T…Tu as f…fait… b… beau…beaucoup plus. T… Tiens. » bégaya-t-il. Il lui tendit une photo d’eux prise lors de la séance au cours de laquelle Kyle s’était levé de sa chaise pour la première fois et une enveloppe qu’elle décacheta pour lire la lettre qu’elle contenait. « Parce qu’une seconde maman devrait avoir une photo de celui à qui elle a appris à marcher. Tu auras toujours une place particulière dans mon cœur. God bless u, Kyle. ». Touchée, le regard de Sorenza se recouvra d’un voile de larmes et, incapable de dire quoi que ce soit, l’eurasienne lui sourit et l’embrassa sur la joue le laissant abasourdi tandis que Thom l'observait d'un air amusé. « Ca me touche beaucoup, merci. Tu as intérêt à revenir me voir de temps en temps, d’accord ? » – « P… Promis. ». Thom agrippa affectueusement l'épaule de son frère. « Allez, on rentre à la maison. ». Sorenza les raccompagna jusqu'à l'entrée et y resta jusqu'à ce que la voiture ne disparaisse de son champ de vision.