« Je suis désolée. J’ai rencontré quelqu’un. Objectivement, il est un peu mieux que toi. Ne me recherche pas.


Elle était sa muse, sa confidente, l’amour de sa vie. Un peu son tout. Comme le rocher permettant à une huître de ne pas se perdre dans l’immense océan qu’est la vie. Il la vénérait, comme un antique athénien vénérait sa déesse Athéna. Il lui donnait tout, sans compter, autant spirituellement que superficiellement. Il se voyait déjà vivre une vie de bohème avec elle. Vivre d’amour et d’eau fraîche. Une vie commune, entre un artiste et sa muse, comme a pu le faire un mythique Picasso, peignant mille et une toile de ses muse/maîtresse. Ciara, elle est le sujet principal de toutes ses toiles, aussi figuratives ou abstraites soient elle. Idéalisée au maximum ou fidèlement reproduite dans ses plus horribles imperfections, elle est tout le temps. Elle l’a toujours obsédé, que ce soit le jour ou la nuit, à n’importe quelle heure. Une relation bien malheureuse. Il n’a rien vu. Ou il n’a pas voulu voir. Ou bien il se complaisait dans cette situation d’amour à sens unique, qu’il acceptait, lucide sur son indice de sexitude avoisinant le néant. Il espérait simplement qu’elle l’aimerait à nouveau un jour, comme elle a pu l’aime au tout début de leur relation, quand ils avaient treize/quatorze ans. Il n’a simplement pas vu venir ce petit drame. L’idée qu’un jour, elle s’en irait pour de bon, enrobant cette rupture de toute sa superbe. Parce qu’elle avait bien changé, la petite Ciara. Il ne s’était pas rendu compte à quel point elle était devenue trop belle, trop bien pour lui ; qu'elle avait trop changée : qu'elle ne serait plus jamais cette jeune fille d'à peine treize ans qu'il avait connu autrefois, aussi timide que lui, aussi naturelle et spontanée que lui, n’aimant pas la compagnie d’imbécile qui ne comprenaient rien à la beauté de l’art et de la nature. Plus les années ont passé et plus elle s'est éloignée de lui, devenant une sorte de monstre d'orgueil restant avec lui simplement parce qu'il la vénérait…

Alors souvent, il se remémore ce fameux moment, tout en peignant encore et de mémoire le visage de Ciara. La jeune fille portait une jupe très courte et une chemise sans manche au col Claudine lui donnant cet air ingénu qu'elle n'a plus depuis longtemps. Ses longs cheveux légèrement ondulés, lâchés dans son dos, suivaient le rythme de ses hanches puisqu'ils retombaient sur celles-ci. Elle remontait l'allée pour s'en aller de chez lui, lui qui par la fenêtre ne se doutait pas qu'il la voyait pour la dernière fois. « Je vais voir des amies... Tu sais... De Galway... » Avait-elle annoncée avant de le quitter, d'une voix un peu hésitante, par sûre d'elle. Cette simple phrase puait le mensonge. Il aimait sa voix, mais il ne pu l’entendre une dernière fois. Tout ce qu’il a eu comme adieu de sa part, ce sont ces quelques mots griffonnés sur un papier post-it.

Leslie est du genre à monter sur ses grands chevaux. Il est déterminé. Il ne recule devant rien. Il n’a parfois pas conscience du danger, toujours perdu dans sa bulle, dans son monde. Cette fois-ci non plus, il n’a pas réfléchi. Il n’a pas pris conscience dans quoi il s’embarquait. Il a fait son sac, plus alourdi par ses affaires d’arts que par ses vêtements et autres objets de valeurs, pour partir sur les routes. Il effectua un premier arrêt, à Dublin, chez Môsieur et Madame les parents de Ciara pour avoir une indication sur sa destination finale. C’est la mère qui lâcha le morceau en premier, comme quoi elle était aux USA, proche d’Hollywood. Avec un peu de travail, Leslie eu le nom d’une ville, plus précisément. Sur l’instant, la voix de Madame sentait autant la maladresse que celle de la fille, annonçant qu’elle allait revoir ses amies de Galway… Ses amies, c’est ça… Pourtant, naïvement, il cru en cette histoire. Leslie ne chercha pas plus loin et, quelques heures de vol plus tard, il s’était lui-même plus éloignée encore de celle qu’il considère vraiment comme la femme de sa vie. C’est pour cette raison qu’il est actuellement à Pasadena, au lieu de tambouriner chacune des portes, de chacune des suites dans lesquelles elle est installée depuis qu’elle porte le titre de Madame la femme d’un riche homme d’affaire Anglais.  

Leslie est le type même du peintre torturé, aimant chacun de ses modèles passant sous ses yeux… Mais espérant secrètement revoir le visage, les bras, les jambes, les fesses et les seins de celle qui aura fait battre son cœur près de dix ans.