Assise, seule à sa table, elle fixe le tableau toujours blanc. Cette prof... Elle n'a jamais pu la supporter, et il lui semble que c'est réciproque. Dans la classe, elle n'a pas d'amis. Elle a souvent été solitaire mais d'habitude elle a au moins une personne à qui se confier. Cette année est différente. On l'a placée avec des gens qui ne bossent jamais et qui était déjà avec elle en primaire, qui se moquait déjà d'elle avant. Dès qu'elle ouvre la bouche, les moqueries fusent. Elle n'en peut plus. Tous les profs ont laissé tomber avec eux, elle n'avance pas, elle n'aura jamais son examen à la fin de l'année comme ça. Elle regarde la feuille distribuée en début de cours, elle n'arrive pas à se concentrer avec le chahut collectif. Elle se retourne et lance un regard noir à son camarade derrière qui ne cesse de lui lancer des bouts de gomme dans les cheveux. « T'as un problème ? Je peux t'aider tête de truite ? » Elle se remet face au tableau, retient ses larmes. Elle en a marre, elle ne supporte plus. Son professeur passe à côté, elle en profite pour lui demander de stopper le perturbateur mais celle-ci refuse, elle est seule, bien seule, dans son cauchemar... Elle tente de se concentrer à nouveau et finit ses exercices. Elle relève la tête et voit sa prof penchée au dessus d'elle. Elle lui murmure « Willa, je crois que nous n'allons pas faire grand chose aujourd'hui, j'admire ta motivation mais pourquoi tu ne ferais pas comme les autres ? En plus c'est la fin d'année, profite un peu ! » Elle a envie de lui crier qu'elle veut réussir, qu'elle veut passer au lycée pour en terminer au plus vite de cette année et que pour le moment, elle allait juste rater ses examens. « Si vous étiez une meilleure prof, peut-être qu'on vous respecterait et que ça ne se passerait pas comme ça » Elle en avait marre d'être la gentille qui ne dit jamais rien. Elle aussi voulait être prof mais pas comme ça, elle voulait enseigner ce qu'elle aime et être aimée de ses élèves. « Tu veux être prof toi aussi c'est ça ? Tu sais, tu n'arriveras à rien si tu es aussi renfermée sur toi-même ! Tu ferais mieux de te faire des amis, la vie au sein de la classe serait meilleure je t'assure ! Et puis rends-toi à l'évidence, tu n'arrives pas à aligner deux phrases quand tu expliques quelque chose. Tu ferais une bien mauvaise enseignante. Tu ne sais pas débiter un cours sans balbutier et que personne ne s'endorme ! » Elle a rangé ses affaires et est partie en claquant la porte. On l'appelait mais elle n'avait qu'une envie : déguerpir au plus vite. Elle arriverait à ses fins, mais pas grâce à elle.

Au fond de l'amphi, elle profite de ce cours magistral pour prendre beaucoup de notes. Depuis le lycée, sa vie est redevenue normale. Elle a complètement changé de secteur, ce qui fait qu'elle ne connait plus personne et qu'elle est repartie de zéro. Elle a même un groupe d'amis et quelques garçons s'intéressent à elle. Elle ne s'est jamais sentie aussi vivante. Elle est actuellement en fac de lettres, son rêve se poursuit. A 19 ans, à la fac, elle arrive à avoir des notes plus que convenables, elle est sûre qu'elle est première de sa promotion, mais ça elle se garde bien d'en parler devant ses amis. Le cours terminé, elle descend les marches afin de rejoindre l'une de ses amies qui étaient restées vers les gradins du bas. Elle tourne la tête vers le professeur, elle lui trouve un certain charme. Assez jeune, belle carrure, et ses yeux... Il les fait rire parfois aussi et alors elle peut admirer son sourire qui creuse ses fossettes. Il la regarde souvent en cours, sûrement parce qu'elle est l'une des seules à suivre attentivement ce dernier. Mais là, le cours est terminé et il la fixe. « Allez-y, je vous rejoindrais plus tard... Faut que je demande quelque chose... au prof... » Elle s'approche de lui. « Monsieur, je voudrais savoir, j'ai écrit quelque chose l'autre jour, le début d'une pièce de théâtre. Vous accepteriez de la lire et de la corriger ? » Il accepte avec un grand sourire, il ne la lâche pas du regard, cette situation commençe à être légèrement gênante. Elle tend ses feuilles, tapées avec soin depuis des mois sur son netbook. « Je lis ça au plus vite Willa ». Il a retenu son nom, sa manière de le prononcer... Elle devient folle. Et son regard qui se pose sur elle avec douceur... Elle remet son sac sur son épaule et part si vite qu'elle se demande si elle n'en est pas ridicule.

Quelques jours qu'elle sort avec Edward et elle veut déjà tout arrêter là. Emilie, son amie, lui a dit que non, ses sentiments viendraient... Le genre de choses auxquelles on croit au collège. Elle n'aime pas Edward mais lui, il est fou d'elle. Elle se demande pourquoi elle est avec lui. En vérité elle essaye juste d'en oublier un autre, qui est dans la salle aussi en ce moment même. Mais lui n'est pas assis, non il est bien debout et il parle, et il explique. Edward à côté ne peut s'empêcher de lui faire des bisous par-ci par-là. Elle voit bien que son professeur la regarde avec intensité, bien plus qu'à son habitude encore. « Edward, s'il te plait... » Il s'arrête brusquement, gênée ou énervée elle ne saurait dire. Il la fixe aussi mais elle fuit son regard. Ses doigts rivés sur son ordinateur, elle reprend le fil du cours et se replonge dedans. Elle est consciente qu'elle vient d'humilier son copain devant tous ses potes, mais il allait un peu trop loin se dit-elle... Et en cours ! La vérité, c'est que sous le regard de son professeur elle ne se sent pas libre d'être avec qui elle veut. Elle regarde sa montre, plus que deux minutes mais elle entend la douce voix de l'enseignant qui indique aux étudiants qu'il les libère. Elle prend ses affaires et fait ce qu'elle a toujours fait : fuir.