La galère. Un mot qui résume bien les dix-huit premières années de ma vie. Mon père, avocat, était parti depuis quelques années à Los Angeles, à l'occasion d'une proposition de travail dans un grand cabinet d'avocats. Selon lui, si cela marchait bien, l'avenir serait bien plus beau pour la famille. Et cela se déroula comme il l'avait prévu : les affaires marchèrent très bien pour lui, nous permettant de retrouver une vie plus décente que celle connue jusqu'ici. Il m'aida à payer mes études, que je fis à New York. Mais l'envie de découvrir d'autres horizons s'est vite manifestée, et je savais aussi qu'être nouveau dans le milieu de la photo à New York, cela allait être compliqué. Après maintes discussions avec mes parents, je décida de m'envoler pour Pasadena, une ville au nord de Los Angeles. Mon père y avait passé quelques temps là bas pour des affaires, et il l'avait tellement appréciée qu'il m'avait donné envie donner de la découvrir. Au fond de moi, je pensai que ce serait également un bon moyen de me rapprocher de mon père, que j'avais rarement vu ces dernières années. Quelques jours plus tard, un billet direction Pasadena dans les mains, j'imaginai les chances qui s'offraient à moi. Chances qu'il ne fallait pas que je laisse passer.

Les débuts se firent un peu difficiles. Ils le sont sûrement tous, après tout. Le temps que je trouve mes repères, que je m'adapte, j'avais trouvé un boulot de serveur dans un café pas loin de mon nouveau chez moi. Entre temps, je faisais la démarche auprès de plusieurs agences photos, qui ne me rappelaient pas. Tout était prétexte à ce que j'abandonne. J'y songeai jusqu'à tard dans la nuit. Mais au petit matin, la conclusion était toujours la même : je me battrai jusqu'au bout. Avant tout, pour eux. Et seulement après, pour moi. Pour rendre fiers mes parents et ma sœur, et pour pouvoir aider à mon tour financièrement. - Et un jour, je sus que mes efforts n'étaient pas vains. Hasard ? Destin ? Aucune idée. Je sais tout simplement que c'est arrivé. Alors que je me baladai dans les rues de Pasadena, l'appareil photo autour du cou, à l’affût de la moindre inspiration, je m'arrête soudainement devant une baie vitrée. Mes yeux observent, curieux, ce qu'il se passe de l'autre côté. Des photos, la plupart en noir et blanc, sont exposées en grand format sur les murs immaculés de la salle. Une exposition. Sans hésiter, je pousse la porte, me retrouvant sûrement parmi de nombreuses personnalités dans le monde de la photo.

Elle vous inspire, celle ci? Une voix m'interrompt dans mes pensées, alors que j'étais planté devant une photographie qui représentait bien mon passé. Un homme, grand, belle carrure, s'était posté à côté de moi. Pardon ? Oh, euh, oui, beaucoup. Je me retrouve dedans, en fait. Vous faites de la photo, à ce que je vois. Son regard est dirigé vers mon appareil, et je hoche doucement la tête. En effet, je viens tout juste de terminer mes études dans ce milieu, mais c'est ma passion depuis bien longtemps. Donc rien de bien professionnel pour le moment. Mais je me doute que vous aimeriez, n'est ce pas ? Je peux jeter un coup d'oeil? Personne auparavant ne s'y était intéressé de plus près, à part lorsque c'était moi même qui les exposaient, dans la rue, souvent. J'acquiesçai dans un sourire, lui tendant l'appareil photo, laissant les photos prises, apparaître. Les secondes deviennent des minutes, le temps passe et j'attends le verdict. Je ne sais même pas qui il est, mais à cet instant là, rien ne m'importe à part son jugement. Même si les jugements peuvent être fatals, ils vont aussi avancer. Vous faites vraiment du bon travail. C'est très prometteur. Aucune critique, seulement ces mots qui résonnent comme de vrais compliments. Un sourire se dessine sur mes lèvres. Je n'ai pas le temps de répondre qu'il continue. Je dois pouvoir vous aider. J'ai un ami qui se ferait un plaisir de s'intéresser à votre travail. Passer avec moi à son bureau demain, disons, si cela vous dit? La réponse est tellement évidente qu'elle doit se lire dans mes yeux. Ca serait avec plaisir!

Et le lendemain, ma vie prenait un nouveau tournant. Je rencontrai l'ami de cet homme, qui dirigeait une agence, et apprécia à son tour mon travail. Il m'explique que l'univers photo de l'agence est surtout les défilés, les backtages, le studio, la mode et l'événementiel. Quelque chose que je n'ai pas encore expérimenté, mais il y a une première fois à tout, de toute façon. Cela me permettra d'apporter ma touche personnelle. Il me propose une période d'essai, et si je passe le test avec succès, j'obtiendrai le job. Une poignée de main sincère, un sourire, et je repars, mon instrument fétiche entre les mains, des rêves plein la tête.