"Mr. Daniels ?" Elle était passé en vitesse dans la salle de repos pour prendre une gorgé dans sa bouteille d'eau. Daniels, Dean Daniels, son titulaire, son supérieur, celui qui lui menait la vie dure mais elle aimait cela. Elle avait toujours aimé la discipline, car elle considérait que c'était la seule manière de progresser, face à l'exigence perfectionniste, pointilliste. Petite elle avait rêvée d'être scolarisée dans un pensionnat privée, mais sa famille n'avait pas l'argent, et de toutes manières elle ne comprenait pas son attirance pour ce genre d'éducation. "Tout va bien ?" La presque trentenaire osa s'approcher et déposa du bout des doigts sa main sur l'épaule de cet homme, assis, les coudes sur la table et la tête dans les mains. Elle entendit un long souffle avant de l'entendre répondre. "Oui oui, retournez à votre travail Ackroyd." Elle vit son épaule se retrousser, comme s'il voulait lui faire signe d'ôter ses sales pattes de là. "Je sais que vous me trouvez complètement idiote mais je suis encore capable de reconnaître quand quelqu'un va mal ou pas Mr. Daniels." Elle s'étonnait que personne ne soit encore venu à ses côtés pour voir ce qui n'allait pas. "Vous êtes mon titulaire, dîtes moi ce que je peux faire pour vous." Comme cela, elle avait l'air d'agir par défaut, et pas par empathie, comme si elle ne s'intéressait à son malheur uniquement parce qu'il était son supérieur. Mais en réalité c'était faux, elle avait cette fibre humaine, qui d'ailleurs l'avait poussé à faire des études de médecine, quitte à s'endetter pour vingt ans. Et pourtant non, en entrant dans la salle, elle avait reconnu une silhouette d'homme de dos, mais ne s'était pas de suite rendue compte qu'il s'agissait de lui. Elle avait déjà entreprit dans sa tête de s'enquérir de son état, quand elle reconnu les chaussures de Daniels. Rhoda commença à tourner les talons, mais au lieu de prendre la porte, elle actionna la machine à café. Comme elle l'avait anticipé, Daniels releva sa tête vers elle. Il s'était attendu à ce qu'elle quitte les lieux, d'autant plus qu'il le lui avait fait clairement comprendre, alors à qui jouait-elle ? "Du café ?" S'enquit-elle, semblant terriblement sûre d'elle, et campée sur ses positions, il n'arriverait pas à la faire partir. Face à son air consterné, elle s'expliqua. "J'ai tout mon temps vous savez, les consultations attendront, je ne sortirais pas tant que vous ne m'aurez pas dit ce qui vous met dans cet état." Comme cela c'était facile de lui tenir tête, il était dans une position vulnérable, mais jusqu'à présent jamais elle n'avait osé montrer cette facette de sa personnalité. Elle pensait qu'en lui disant qu'elle avait du travail mais que lui passait avant les autres elle arriverait à lui faire pression pour qu'il lâche son sac au plus vite et qu'elle reprenne son travail avec le moins de retard possible. Elle pensait les choses de manière humaine, mais également du côté professionnel, et elle joua de ce point pour le pousser à réagir. "Je ne sais pas vous mais personnellement je n'ai pas envie de vous voir massacrer votre prochaine opération parce que vous avez la tête dans la brouillard." Alors voilà, il fallait qu'il vide son sac maintenant, pour être libéré après.
Finalement, après un long silence, et une tasse de café concédé, il lui balança son histoire de l'Afghanistan avec la mort de son meilleur ami, dont il se tenait pour responsable. A la fin, il avait planté ses yeux dans les siens avec cet air de défiance, l'air de lui dire alors gamine tu crois vraiment que tu peux m'aider ? Elle n'aurait pas plus tombée de plus haut lorsqu'il lui avoua qu'il était hanté par des démons datant de son service en Afghanistan. Elle s'était attendue à un problème instantané, une histoire de coeur, car elle avait du mal à l'imaginer célibataire, un décès dans sa famille ou une faute professionnelle. Jamais elle n'aurait imaginé qu'il puisse être habité par des cauchemars datant de son passage en Afghanistan. C'était si loin, à la fois temporellement et cognitivement... Elle comprenait pourquoi elle ne pouvait pas l'aider. Elle n'avait pas vécu cette guerre, elle ne pourrait jamais comprendre ce qu'il avait vécu, et ne pourrait jamais trouver les mots, la manière, de le réconforter. Elle comprenait mieux maintenant que personne ne soit allé à son chevet alors qu'il n'était pas si caché que cela dans la salle de repos, et qu'il était plutôt bien apprécié dans les services.