L’enfance de James n’est pas si intéressante que cela et selon lui, elle ne mérite pas que l’on s’attarde dessus trop longtemps. Il était un enfant très calme qui ne faisait jamais de bêtises et qui écoutait toujours attentivement ce que les adultes disaient. Il n’avait jamais dans l’idée de faire autrement ou de mal faire les choses ; il voulait satisfaire tout le monde, au point où il ne pensait plus une seule seconde que l’important est de plaire à soi-même avant toute chose.
Mais, cette obsession de toujours bien faire lui venait de son père qui n’était pas présent les trois quart de l’année puisqu’il se trouvait dans la base militaire où il travaillait ou ailleurs dans le monde. Avant de rejoindre la base, il disait toujours à son fils qu’il devait être à la hauteur de ses espérances, de ne pas le décevoir et d’être correct en toutes circonstances avec sa mère ou les autres. De ce fait, dans la tête du petit garçon, les choses étaient claires : pour être « bien » aux yeux de son paternel, il devait se conformer à ce que l’on attendait de lui et non pas à ce qu’il était réellement.
Il faisait parti d’un club de football, comme le voulait son père. Il faisait souvent du sport, comme le voulait son père. Il obtenait toujours de très bonnes notes, comme le souhaitait son père. Il n’était jamais insolent ou désobéissant, comme s’y attendait son père. La liste de tout ce qu’il faisait au nom de son père pourrait être encore plus longue, mais il serait inutile de tout mettre, puisque là se trouve l’essentiel.
Malgré tout, James était très proche de sa mère, puisqu’il vivait exclusivement avec elle et quelques cousins et cousines lorsqu’ils venaient durant les vacances. Mais le reste de l’année, ils n’étaient que deux et forcément, une grande complicité s’était installé entre la mère et le fils. Contrairement à son époux, Elizabeth, ne voulait pas que son enfant soit trop terre à terre ou qu’il se comporte comme un adulte à tout juste dix ans. Elle voulait qu’il profite de la vie et de son insouciance. Il n’était donc pas rare qu’elle faisait la leçon à James en lui expliquant des milliers de fois qu’il était libre de ses choix et qu’il n’était pas dans l’obligation de dire « oui » à tout ce que voulait son père.
Mais c’est seulement vers l’âge de quatorze ans que James avait prit la décision de ne plus satisfaire essentiellement son paternel. Il ne voulait plus être une sorte de marionnette entre ses mains, il voulait être libre, quitte à ce que cette indépendance passe mal. Il le savait, mais il s’en fichait. Bien évidemment, en apprenant que son fils avait cessé le foot, il était devenu fou, parce qu’apparemment, « un garçon qui n’aime pas le football, ce n’est pas normal ». Mais franchement, y pouvait-il quelque chose s’il préférait le domaine artistique au domaine sportif ? Alors oui, il lisait bien de la déception dans le regard de l’homme qui fut son modèle durant des années, mais il ne pouvait clairement pas faire semblant toute sa vie d’avoir les mêmes passions.

C’est ainsi que durant la période du lycée, le jeune adolescent avait commencé à suivre des cours d’arts et s’était prit d’amour pour la peinture et les dessins au fusain. Il aimait la finesse des traits, les couleurs vives qui exprimaient des émotions, les différentes scènes qui plongeaient immédiatement dans un autre monde. Il lisait beaucoup de livres sur les grands noms de la peinture. Il voulait tout connaître, tout apprendre en un temps record et faire parti de ce monde si fermé des artistes. Évidemment, il savait que cela allait lui prendre des années, mais il savait qu’il pouvait le faire et surtout, que c’est ce qu’il allait faire, même si dans les débuts, il ne pourrait pas vivre de ses toiles. C’est ainsi que parallèlement, il avait eu dans l’idée de devenir professeur d’arts pour que des jeunes qui ont cette même passion que lui puissent en apprendre et en connaître tous les secrets. Mais là encore, James savait que la route serait longue.

Il avait tout juste vingt-deux ans lorsqu’à l’université, il avait la connaissance d’une jeune femme qui, comme lui, suivait des cours pour être professeur. Ils s’étaient rapidement bien entendu, comme si cela avait été convenu d’avance, comme si ils devaient faire connaissance à cette période de leurs vies et pas à une autre. James adorait tout chez Judith ; son sourire qui lui faisait croire aux anges, son regard océan dans lequel il se perdait sans cesse, ses éclats de rire lorsqu’il racontait un peu tout et n’importe quoi, sa façon de lui faire comprendre à quel point elle adorait être en sa compagnie... et tout le reste. Ils donnaient l’impression de vivre dans une bulle et les autres avaient bien du mal à se faire une place dans ce duo. Mais ils s’en fichaient, ils étaient bien ainsi et pour rien au monde ils n’auraient voulu que cela change.
Judith était un électron libre, elle faisait les choses comme cela lui venait et se fichait bien des conséquences. Un rien pouvait la faire rire et elle admirait le monde sous toutes les coutures. Elle jouait dans la neige comme une enfant de cinq ans qui la découvrait pour la première fois, elle faisait craquer les feuilles sous ses pieds en automne, écoutant le chant des oiseaux lorsque le printemps venait et s’allongeait des heures durant dans l’herbe lorsque l’été le permettait. Elle était ainsi. Et James l’aimait pour toutes ces petites choses qui faisaient qu’elle était unique.
Ils avaient vingt-quatre ans lorsqu’ils ont pris un appartement ensemble. Ils voulaient être encore plus libres, ils voulaient être seuls dans cette bulle qu’ils aimaient tant et ils étaient heureux de cette manière. James et Judith. Judith et James. On ne pouvait pas dire le prénom de l’un sans dire celui de l’autre juste après. Ils étaient indissociables. Et à chaque pas que James faisait dans la vie et dans sa carrière, sa femme se trouvait à ses côtés. Elle voulait toujours qu’il aille plus loin, qu’il aille au bout de ses rêves et grâce à elle, il le pouvait.

Il le pouvait parce que Judith était sa force et elle lui prouvait tous les jours qu’elle était une véritable battante. Ce que les gens ne savaient pas forcément, c’est que la jeune femme était atteinte de la mucoviscidose et se battait donc continuellement pour vivre. Mais elle le faisait avec une telle dignité que James en était toujours plus qu’admiratif. Il se demandait sans cesse comment elle pouvait supporter tout cela, comment elle arrivait à être si forte alors que la vie lui mettait sans cesse des bâtons dans les roues. Mais elle souriait tout le temps et disait sans cesse qu’elle n’en vivait pas plus qu’elle ne pouvait le supporter. Avec elle, tout allait toujours très bien et il fallait prendre la vie du bon côté.
Et surtout, elle voulait donner la vie. Entre eux, cela avait été un long sujet de discussion. Un débat interminable dans lequel ils n’arrivaient pas à être d’accord. Certes, James voulait un enfant avec elle, cela ne faisait aucun doute, mais il savait aussi qu’une grossesse serait un risque supplémentaire pour Judith. Il ne voulait en aucun cas qu’elle souffre davantage et il refusait catégoriquement cette idée. Peu importe ce qu’elle disait, il ne voulait rien entendre.
Mais au final, c’est elle qui avait eu le fin mot de cette histoire. Il avait craqué. Il voyait que cela lui faisait trop de peine et il ne voulait pas en être la cause et d’ailleurs, de quel droit lui faisait-il subir une telle chose ? Elle voulait être mère et lui, il voulait un enfant de cette femme. Lorsqu’elle avait annoncé sa grossesse, James a cru qu’il allait faire un malaise, mais il a tenu le choc et a prit Judith dans ses bras durant de longues minutes. Heureux. Comblé. Inquiet. Cette inquiétude ne le quittait pas. Elle grandissait en lui, tout comme la maladie rongeait sa femme.
Il faisait toujours très attention à elle, au point où parfois, cela la rendait folle. Elle ne voulait pas être une sorte de gêne ou qu’il la considère comme une poupée de porcelaine qui se casserait en quelques secondes ; elle voulait être une future maman comme les autres. James faisait des efforts, il était moins sur son dos, mais il veillait malgré tout. Pendant neuf mois. Dire qu’ils ont été interminable serait un euphémisme.

Judith avait passé les deux derniers mois de sa grossesse à l’hôpital. Son était allait de mal en pire et ils craignaient tous pour l’enfant. Cela rendait nerveux James qui ne savait plus quoi faire pour se rendre utile, qui se sentait impuissant face à tout cela et qui avait des milliers de doutes au sujet de cette grossesse et du reste. Mais il savait qu’il était trop tard pour faire marche arrière et quoiqu’il arrive, il serait prêt à faire face. Il lui en avait fait la promesse.
Et enfin, le 10 février 2010, elle a donné naissance à une petite Emma Joy qui comblait déjà ses parents. Ils étaient heureux. Même plus que cela. Ils voulaient que chaque journée soit magique, même si la jeune maman ne pouvait pas se rendre en dehors de l’hôpital. Elle se trouvait toujours là, dans son lit, un masque à oxygène sur le visage. Le jeune papa n’en montrait rien, mais il en voulait à cette vie de faire subir cela à sa femme qui était pourtant merveilleuse. Il avait encore un peu d’espoir. L’espoir fou que Judith allait s’en sortir... Mais il avait tort.
Seulement trois semaines après la naissance de sa fille, Judith perdait la vie. Cette nouvelle avait complètement bouleversé James qui ne savait plus quoi faire, qui ne savait plus où il en était ni quoique ce soit. Il se retrouvait là, seul, avec une petite fille de trois semaines dans les bras, un appartement dans lequel sa femme ne vivrait plus, un enterrement à organisé... Il se retrouvait heureux et malheureux en même temps. Il regardait Emma, il voyait un peu de sa femme et cela le faisait sourire autant qu’il en pleurait durant des heures.
Heureusement, sa mère l’aidait beaucoup à cette période (cela faisait bien longtemps que son père ne faisait plus parti de leurs vies). Elle s’occupait de sa petite-fille pendant que James se remettait lentement du décès soudain de Judith. Il ne vivait plus comme avant, il avait perdu cette petite flamme qu’elle avait le don de transformer en feu d’artifices. Il n’arrivait même plus à peindre. Il ne faisait plus rien. Il voulait juste qu’on lui fiche la paix. Qu’on le laisse, lui et sa peine. Lui et sa fille. Lui et la solitude. Il ne parlait plus beaucoup, pas même à sa mère, il parlait juste à Emma de temps en temps. Il se disait qu’elle devait en avoir besoin... qu’elle n’avait plus que lui et que, pour cette raison, il devait reprendre le dessus. Sa femme lui avait laissé son plus beau cadeau et il allait en prendre soin.

C’est finalement sa mère qui lui avait parlé de Pasadena et l’idée de prendre un nouveau départ dans un nouvel endroit. Tout ici lui rappelait bien trop Judith et il est certain que cela lui faisait trop de mal. James n’avait pas perdu une seconde, il faisait confiance à sa mère et l’a écouté : ils ont pris la route de cette petite ville, bien loin de chez eux, mais qui avait le mérite d’être bien moins grande et il y avait tout ce dont il avait besoin sur place ; un poste à l’université non loin de là, il pourrait même continuer de peindre, il avait trouvé une petite maison pour lui et Emma (sa mère préférant vivre à quelques kilomètres de là) et il s’imaginait bien dans cette nouvelle vie, même si cela lui faisait toujours un petit pincement au cœur.
Et même si ses journées étaient bien remplies, James gardait du temps et se rendait souvent dans des associations pour rendre le sourire aux gens qui avaient des difficultés. Il ne pouvait pas ne rien faire, pas après ce qu’il avait vécu ; Judith avait fait de lui un homme meilleur et il voulait rendre un peu de tout cela, faire en sorte que les autres aient également une chance de vivre dans la joie.

Et durant toute cette période, James s’occupait toujours autant de sa fille qui grandissait bien trop vite à ses yeux. À chaque fois, il avait cette impression de ne pas en faire assez, il voulait toujours en faire plus, comme si il le pouvait réellement alors qu’il était déjà un papa exemplaire.
Certains diraient qu’il gâte trop Emma, mais les remarques, il ne s’en soucie pas plus que cela. Il parvient mieux à vivre avec l’absence de Judith, même si certaines dates le coupent de la réalité, mais il sait aussi que seul le temps l’aidera et il en a déjà fais du chemin, depuis ces trois dernières années.
Quant au reste de son histoire, ne lui reste plus qu’à écrire les nouveaux chapitres.